L'outre-mer et le problème de la représentation en France
- Sam CARGNELLI
- 5 juil. 2024
- 3 min de lecture
Si la population ultramarine représente 3,26% de la population française, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) estime la représentation des territoires et départements d’Outre-Mer dans les programmes à la télévision à hauteur de 16,9% en Juin 2020 grâce notamment à la chaîne France Ô, véritable relai de la vie ultramarine sur le sol métropolitain.
Dû à la disparition de la chaîne en septembre 2020, la visibilité des territoires ultramarins chute brusquement à 1,5% dans l’ensemble télévisuel français lors de l'année 2021. Dans les magazines d’informations nationaux, les territoires et départements d’outre-mer sont très rarement représentés, seulement en cas de catastrophe naturelle ou de crises sociales. Si l’on se réfère à la représentation des origines perçues des personnages de fiction à la télévision française en 2021, seuls 10% des personnes sont perçues comme résidant dans les DROM-COM et seulement 16% sont perçues comme non-blanches.
Mais même lorsque des fictions représentent les DROM-COM à l’écran, ce sont souvent des réalités déformées qui sont représentées, dans une volonté de lisser l’image du territoire, calquer ce qui est fait en métropole ou reproduire des idées préconçues. Plusieurs professionnels soulignent le comportement des sociétés de productions métropolitaines, notamment dans la réticence d’intégrer des minorités ethniques ou dans leur volonté d’effacer, ou au contraire, d’appuyer, sur les accents des populations ultramarines.
![]() “Tiens toi droite” de Katia Lewkowicz réalisé en 2014, qui raconte l’histoire d’une Miss Nouvelle-Calédonie en France métropolitaine, en est un exemple parlant. Même si le film a entièrement été tourné en métropole, les quelques images concernant le territoire néo-calédonien, visiblement récupérées, se limitent en réalité à des images de plages de la Polynésie Française et de la culture polynésienne. Le film joue d’ailleurs complètement du mythe de la vahiné, nageant et marchant seins nus sur des plages paradisiaques. Dans son film, la réalisatrice exotise le territoire calédonien pour le faire correspondre à ce que l’on attend d’une représentation insulaire en métropole. Le peuple et la culture Kanak est alors tout simplement ignorée et remplacée par la chimère d’un peuple insulaire, sensuel et universel. Au-delà de la négation identitaire et du fantasme ethnique, cela pose la question de l’interchangeabilité des îles, dans la mesure où les spécificités territoriales et humaines sont délaissées au profit d’un décor insulaire utilitaire, exotique et fantasque, tel que représenté dans l’imaginaire métropolitiain.
Il s’agit ainsi souvent, pour les sociétés de production métropolitaines, de raconter une histoire qui se déroule dans un contexte insulaire plus que de proposer le récit d’un individu ultramarin prenant racine dans son environnement. | ![]() Dans un autre exemple, dans un format historique, on peut prendre le film Gauguin voyage de Tahiti réalisé par Édouard Deluc en 2017. Bien qu’il s’agisse d’une co-production avec une société locale, le récit néglige des spécificités du contexte colonial, préservant de cette manière la représentation positive du récit du célèbre artiste. Ainsi l’âge de sa femme Tehamana, alors âgée de 13 ans dans les faits, est complètement omis dans le film par la présence d’une actrice plus âgée. Alors que dans le film, l’histoire d’amour avec Tehamana est savamment romantisé, Gauguin était en réalité de nature excessivement jalouse et enfermait sa femme chez lui. Il s’est avéré que dans ses relations epistolaires, ce dernier se vantait des nombreuses relations sexuelles qu’il entretenait sur l’ile, alors qu’en réalité cela relevait plus de prostitution qu’autre chose. Pourtant le film ne mentionne ni ces lettres, ni l’emprise exercé sur sa femme, ni le fait que le peintre, alors atteint de syphilis, ait diffusé la maladie sur l’île. On constate que plusieurs aspects de sa vie sont gommés au nom d’une forme de bienséance, qui semble valoriser la représentation morale du peintre, niant par défaut la réalité des mœurs coloniales. Il s’agit aussi là de tout un mythe “Gauguin un sauvage parmi les sauvages”, que le peintre a lui-même développé dans ses écrits. Il semblerait que le film tente de distinguer Gauguin du contexte colonial, comme pour distinguer le peintre du colon, alors que ce dernier fait pleinement partie de ce processus de colonisation.
Plusieurs polynésiens ont par ailleurs dénoncé la place des femmes tahitiennes dans le film, qui semble purement inspiré des oeuvres orientalistes de Gauguin. Ainsi dans le long-métrage, les femmes polynésiennes ne parlent pas, elles sont là mais on ne sait pas vraiment pourquoi, “elles sont offertes à notre regard” comme l’explique M. Stazak, professeur de géographie à l'Université de Genève et spécialiste de l’imaginaire exotique, qui vient nous préciser “il est regrettable de faire un film à Tahiti sans y faire parler les tahitiens”. |
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Dans son étude sur la relation entre le cinéma français et le passé colonial, C.EADE dans la revue académique Mouvements en 2011 nous explique les limites de ces films historiques post-coloniaux “Le problème d’interprétation que peuvent poser de tels récits vient de ce qu’ils relatent l’échec logique d’une entreprise aux prémisses inacceptables – la colonisation – en mobilisant chez les spectateurs une charge émotionnelle au bénéfice d’une histoire et au détriment de l’Histoire”. Même si les violences coloniales sont systématiquement dénoncés dans l’ensemble des films contemporains français, la représentation du colon et du colonisé au cinéma par exemple, évolue plus doucement. Peu de films intègrent dans ces récits des personnages colonisés ayant un statut narratif égal à celui du colonisateur, “le subalterne reste l’adjuvant, l’ennemi juré ou la victime passive”.
Le désintérêt qui s’ajoute aux préconceptions sur les réalités ultramarines ne permet pas d’établir une représentation réellement sincère et objective de leur passé, de leur identité ou de leur culture.
À la recherche d'une représentation... Aujourd’hui encore, il est fréquent de constater que la représentation des populations ultramarines est négligée, ou que ces communautés sont tout simplement remplacées par des acteurs métropolitains dans des productions se déroulant parfois au sein même de leurs territoires. Dans les fictions, ces derniers interprètent souvent des personnages secondaires, voire parfois exclusivement figuratifs, laissant les rôles principaux à des acteurs venant de l’Hexagone.
Il semblerait que les communautés ultramarines rencontrent tout autant de difficultés à être suffisamment et correctement représentées qu’à se représenter elles-mêmes. Il s’agirait ainsi de rendre l’outil audiovisuel accessible à ces communautés pour qu’elles puissent se détacher de ces stigmates hérités du passé colonial et s’approprier la narration de leur histoire et de leur culture.
L’absence de représentations des identités et territoires d’outre-mer en Hexagone, ainsi que la marginalisation des créations locales, semble mettre à mal cette quête de réappropriation culturelle à travers l’outil audiovisuel.
Bibliographie:
“Sur la représentation et la visibilité des territoires d’outre-mer dans l’audiovisuel public”, rapport sénatorial, M., ANTISTE & J., GUIDEZ, 2019. https://www.senat.fr/rap/r18-439-1/r18-439-1_mono.html#toc224
“Rapport annuel 2021 du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel” rapport annuel du CSA, 17/05/2022. https://www.csa.fr/Informer/Informations-publiques-et-ressources-humaines/Les- rapports-annuels-et-bilans-du-CSA/Le-rapport-annuel-2021-du-CSA
“Noirs et Blancs en couleurs: le passé colonial et le cinéma français contemporain”, CAIRN, Mouvements, C., EADES, pp. 55-66, 2011. https://www.cairn.info/revue-mouvements-2011-HS-page-55.html
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