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L'héritage des stigmates coloniaux au cinéma

  • Sam CARGNELLI
  • 5 juil. 2024
  • 4 min de lecture

    Depuis plus d’une vingtaine d'années, les Départements et Régions d’Outre-Mer et les Collectivités d’Outre-Mer (DROM-COM)  se tournent vers un développement de la filière audiovisuelle en vue d’industrialiser leurs territoires dans le domaine. Cette volonté de développer l’industrie audiovisuelle se traduit par une multiplicité de mesures locales encourageant, sensibilisant ou soutenant la production de contenu sur leur archipel. Les retombées  économiques et/ou culturelles de ses politiques se trouvent pourtant limitées par plusieurs facteurs propres aux particularités des territoires. Il va sans dire que les réalités politiques, géographiques, économiques et culturels mettent aujourd’hui en exergue la manière dont la colonisation a façonné les sociétés ultramarines.


Ces DROM-COM héritent de siècles où l’on a modelé l’administration, l’urbanisation, l’économie, la culture, mais aussi l’image et la représentation de ces populations ultramarines. Il s’avère que le cinéma français, entre autres, a joué un rôle central dans le modelage et la diffusion du discours et de la représentation coloniale. Au cours des années 1920, le médium audiovisuel devient l’outil de propagande dédié à promouvoir, et à moralement justifier la quête de peuplement des colonies de l’Empire Français. On se demande aujourd’hui comment cette filière cinématographique française s’est développée depuis l’ère coloniale jusqu’à aujourd’hui et comment celle-ci a impactée ces territoires et ces populations. Il s’agit aussi de comprendre de quelle manière le développement d’une industrie audiovisuelle sur ces territoires peut servir à l’émancipation des populations ultramarines, notamment vis-vis de l’héritage de ces stigmates coloniaux. Dans un contexte national où les questions identitaires, migratoires et sécuritaires font débat dans la société, la population française aspire à un vivre ensemble. L’histoire complexe des territoires d’outre-mer, ainsi que l’indifférence des métropolitains quant à ces territoires, ne facilite pas leur intégration dans l’ensemble national. 

Alors présenté comme un reportage de 74 minutes, Chez les Mangeurs d’Hommes, réalisé en 1928 par André-Paul Antoine et Robert Lugeon, relate un conflit entre un chef cannibal et une tribu voisine dans les Nouvelles-Hébrides en Mélanésie. Après sa sortie, de nombreux ethnologues ont remis en cause la véracité ethnographique du film. Il est aujourd’hui admis que ce dernier n’a en réalité aucune valeur documentaire mais a été mis en scène et joué par des acteurs rémunérés. Malgré tout le film est aujourd’hui pudiquement présenté comme étant un reportage, ayant une force plastique, et poussant le spectateur à un questionnement sur la relation entre la mise en scène et le documentaire. En réalité, ce long-métrage fait parti d’un ensemble de films de propagande, impulsés au début des années 20 par Albert Sarraut alors ministre des colonies, qui visent à légitimer la mission civilisatrice de la colonisation et promouvoir la mise en place des expositions coloniales. 

Quelques années plus tard, lors de l’exposition coloniale internationale de 1931 à à Paris, les populations colonisées sont emmenées pour être exhibées dans des zoos humains. La communauté mélanésienne, entre autres, est alors présentée comme étant des sauvages, cannibales et polygames par les campagnes publicitaires et dans la presse nationale. L'événement attirera près de 33 millions de visiteurs en l’espace de 6 mois. Ces spectacles déshumanisants s’imposent alors comme les premiers espaces de rencontre entre les métropolitains et les populations colonisées. Au total, il s’agit de près de 800 000 personnes issues des colonies françaises qui sont emmenés en métropole pour être parqués dans des enclos, dans une mise en scène, organisée et exotisée jouant des modes de vie traditionnels et d’un ‘ensauvagement’ artificiel'. 




De nombreux films de fictions sont par la suite produits par des sociétés privées, souvent soutenues par les subventions publiques du ministère des colonies, et qui viennent alimenter une vision folklorique, fantasmée, caricaturée des territoires et des populations colonisées, tout en offrant aux occidentaux une position narrative positive, généreuse et héroïque dans les différents récits. Plusieurs films rencontreront un grand succès auprès du public métropolitain, comme La Sirène des Tropiques (1927), qui débute la carrière d’actrice de la célèbre danseuse et chanteuse Joséphine Baker, symbole-même de ces projections coloniales à travers ses rôles au cinéma et ses représentations scéniques. Dès les années 30, le cinéma se positionne rapidement comme étant l’un des supports principaux de la diffusion de l’ “idée coloniale” à travers la France.  Au delà d’être le simple reflet d’une société à un moment donné, ce cinéma colonial participe activement à façonner des stigmates et des stéréotypes jouant alors du mythe du ‘bon sauvage’, légitimant à la fois l’action impériale par la mission civilisatrice, que la hiérarchisation, l’exploitation, la négation et l’oppression de ces populations. 

Aujourd’hui les conséquences de cet héritage colonial affectent encore les populations ultramarines en métropole notamment au sein de leurs territoires. Près de 57% des ultramarins participants au questionnaire du sondage What’s up jeunes outre-mer en 2018, estiment encore ressentir les stigmates hérités de l’époque coloniale dans leurs territoires. Les effets de ces stigmates se ressentent notamment envers les populations autochtones qui subissent un échec scolaire plus important que les autres communautés de leurs territoires et se retrouvent ainsi victimes de de discriminations et d’inégalités liées à leurs origines. À l’image de la notion de reproduction sociale telle que développée par Bourdieu, l’absence de représentations notamment positives, au cinéma ou à la télévision entre autres, semble alimenter un effet de stigmatisation envers ces communautés.

Même si de nouvelles représentations tentent de déjouer ces stigmates ceux-ci restent encore très présents sur nos écrans et ancrés dans les imaginaires. 

D'où l'importance pour la jeunesse d'outre-mer de s'emparer de l'outil audiovisuel pour y écrire sa réalité et ses enjeux, en opposition à ce dont l'imaginaire hexagonal projette sur nos histoires, nos territoires et nos identités. Le chemin est encore long... !!! 


La Team AJUCA

 
 
 

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